L’industrie de l'information doit changer pour protéger la santé mentale des journalistes
Un billet de Dave Seglins • 20 novembre
Après avoir été pendant 25 ans un journaliste sur la ligne de front qui porte les cicatrices du TSPT (Trouble de stress post-traumatique) lié à d’horribles couvertures de meurtre, d’abus sexuels et de souffrance, j’ai aujourd’hui une conscience aiguë des risques inhérents à notre industrie et de la façon dont elle s’occupe mal de ses travailleurs.
Combien de patrons demandent «Comment vas-tu?» quand ils vous affectent à une nouvelle couverture difficile? C’est une question de base, qui devrait aller de soi.
Ce nouveau billet est un appel à l’action. Il est temps que l’industrie de l’information se penche sérieusement sur la santé mentale et le bien-être de ses travailleurs. Il existe des façons de changer et de s’améliorer.
Première étape: En parler
Il est rare que nous parlions ouvertement du stress et de l’exposition à des traumatismes, ou encore de la détérioration du climat de travail dans notre industrie. Bien sûr, on en discute à l’occasion avec des amis collègues, mais en tant qu’industrie, nous avons plutôt été habitués à «avaler la pilule» plutôt qu’à essayer de protéger le bien-être de chacun d’entre nous. (vous pouvez écouter mon histoire dans cet épisode du podcast Sickboy, de la CBC)
Soyons honnêtes: on a beau être un superhéros, il arrive que les pressions du monde du journalisme soient tout simplement trop fortes. Et ces pressions s’accentuent, comme jamais auparavant: explosion du harcèlement en ligne ou sur le terrain, charges de travail sans cesse croissantes, rythme et volume de nouvelles accéléré, ou encore insécurité de l’emploi généralisée.
Nous avons plus que jamais un devoir les uns envers les autres. Notre compréhension collective de la santé mentale et de l’impact de l’exposition à des traumatismes a considérablement évoluée au cours de la dernière décennie. Mais nos salles de rédaction n’ont pas suivi cette évolution.
Par ailleurs, une nouvelle génération de jeunes journalistes exige mieux. Ou encore, ils quittent carrément la profession, excédés par l’insécurité d’emploi, le harcèlement à l’égard des médias, les attaques racistes ou misogynes en ligne, ou encore l’impression de devoir «faire ses preuves» pendant des années, en étant affecté au travail de soir ou de fin de semaine. Plusieurs grands patrons de salle de nouvelle me disent avoir bien du mal à engager et à retenir de nouveaux talents à un moment où l’industrie a désespérément besoin de se diversifier.
En fin de compte, notre industrie est vraiment douée pour débusquer des histoires, mais a bien du mal à prendre soin de nous!
Bien sûr, il y a plein d’excuses pour justifier cela: c’est la nouvelle qui prime; on est pressé par le temps à cause de l’échéance ou encore par le désir de battre la concurrence; on s’est longtemps considéré «extérieur à l’histoire», minimisant du même coup les impacts de l’exposition à la souffrance et à la laideur, tout cela dans un contexte de journées interminables et d’horaires de travail difficiles, tenant le coup grâce à une diète mêlant adrénaline, café… et parfois alcool.
Personne ne nous a jamais encouragés à agir autrement: après tout, il faut bien nourrir la bête médiatique!
De plus, les personnes promues responsables des salles de nouvelles (qui, selon mon expérience, sont souvent des personnes intelligentes et attentionnées) ont souvent elles-mêmes excellé dans cette culture «workaholic» de notre industrie! Et elles manquent souvent de formation de base en gestion, sans parler de formation en santé mentale!
Il y a deux ans, je me suis dit qu’il était temps que les choses changent. J’ai proposé à CBC de créer à l’interne une formation pour les responsables des salles de nouvelles et pour le personnel de première ligne afin de favoriser «le bien-être des journalistes». J’ai également proposé à mes patrons un nouveau titre d’emploi pour définir mon travail. Je suis désormais un heureux «journaliste champion du bien-être», dont la tâche est de travailler auprès de mes collègues de la salle de rédaction afin d’adopter de nouvelles stratégies et bonnes pratiques.
Je me suis également associé avec le professeur Matthew Pearson du programme de journalisme de l’Université de Carleton et le Forum des journalistes canadiens sur la violence et le traumatisme afin de mener la toute première étude nationale portant sur 1200 répondants de l’industrie des médias au Canada.
Prendre soin: Un rapport sur la santé mentale, le bien-être et les traumatismes chez les travailleurs des médias canadiens a été publié en mai 2022 et témoigne des réalités difficiles vécues par nos collègues.
· Taux élevés d’épuisements professionnels, d’anxiété et de dépression
· Exposition routinière et répétée à des événements traumatisants
· Quasi absence de formations sur la santé mentale ou les traumatismes, que ça soit à l’école ou en milieu de travail
· Les répondants disent adorer leur travail, mais souhaitent ardemment des améliorations, notamment de la rétroaction et un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle.
Il existe des solutions, non pas des solutions miracles, mais plutôt une série de petits pas dans la bonne direction.
Dans les mois à venir, ce blogue explorera des solutions concrètes pour les salles de rédaction et les journalistes, afin de rendre notre travail plus sain et plus vivable. J’espère pouvoir compter sur la participation de journalistes de tous les coins du globe, afin de découvrir et de partager de nouvelles façons d’encourager le #bien-être à la une
Il est temps que cela change. Nous pouvons faire mieux. Commençons donc par en parler.
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Dave Seglins est membre du Forum des journalistes canadiens sur la violence et le traumatisme et du Dart Center for Journalism & Trauma, et est un journaliste d'enquête chevronné à CBC News à Toronto.